Interview José Gramdi : L’humain doit être replacé au cœur des systèmes des usines 4.0
José Gramdi est un enseignant Chercheur à l’Université de Troyes et l’auteur du livre « La boucle vertueuse de l’excellence ». Il développe depuis plus de 15 ans une méthode visant à une amélioration continue des processus que ce soit dans le domaine de la production industrielle mais également dans le secteur tertiaire.
Pour ce faire, il a créé et expérimente une méthode et un indice, la PIG « Performance Interactionnelle Globale » en utilisant les concepts nés du Lean Management, du Six Sigma et de la Théorie des Contraintes. Pour José Gramdi, l’avenir des usines du futur passe par une remise en question profonde des modèles actuels et par le retour de l’humain au cœur du système.
A quoi servent le Lean Management, le Six Sigma et la Théorie des Contraintes ?
Le Lean Management, le Six Sigma et la Théorie des Contraintes sont trois approches complémentaires d’amélioration continue qui permettent de mettre en évidence les difficultés, appelées « goulets » par Monsieur Gramdi, puis d’apporter les solutions adaptées.
Le Lean Management vient du Japon et, dès son arrivée en Europe, ses principes ont été « packagés » avec des résultats souvent peu concluants. Pourtant, bien utilisé, le Lean a pour objectif de réduire le temps de traversée des flux au plus juste. Pour cela et par exemple, il est possible d’agir sur tous les processus, à commencer par les commandes de matières premières nécessaires puis d’adapter la production en fonction de la demande effective du marché et enfin de livrer dans les meilleurs délais les produits fabriqués en limitant leur stockage.
Avec le Lean, il s’agit de cesser de se focaliser sur les efficiences individuelles des ressources pour se plonger activement sur les performances en termes de respect des délais.
Le Six Sigma est une approche tendant à solutionner les problématiques de variabilité. Tout processus connaît des facteurs pouvant entacher les systèmes de production créant une moindre qualité en raison de retards, de pannes ou encore de produits défectueux sans toujours en connaître la cause initiale.
Les outils du Six Sigma sont donc utiles pour mettre en place des solutions stables afin de limiter cette variabilité et d’agir sur la qualité du processus.
La Théorie des Contraintes, quant à elle, a pour objectif d’agir sur le « goulet » limitant le débit de sortie de chacun des processus. Ce goulet peut provenir d’une ressource rare, d’un problème physique ou organisationnel, par exemple. Les préceptes de la Théorie des Contraintes œuvrent donc pour identifier et traiter les contraintes et deviennent des leviers d’amélioration et de pilotage.
Un meilleur débit augmente de nombreux critères de l’entreprise lui apportant assurance et renforcement de sa position vis-à-vis de ses partenaires.
En résumé, le Lean s’attache à agir sur la vitesse des flux, le Six Sigma sur la variabilité et la qualité des processus et la Théorie des Contraintes sur les goulets contraignant les processus.
Pourquoi et comment mettre en place de tels outils ?
Pour Monsieur Gramdi, la question que les entreprises devraient se poser n’est plus celle du « comment » mais du « pourquoi ». Le marché est en pleine mutation et les entreprises peuvent envisager les transformations actuelles telles que la transformation digitale comme une occasion de s’inscrire dans un avenir pérenne.
Avec les outils et les méthodes développées autour du Lean Management, le Six Sigma et la Théorie des Contraintes, les entreprises peuvent entrer dès à présent dans l’univers de la SMART Factory pour laquelle la recherche vertueuse permanente de l’excellence opérationnelle est un critère essentiel.
En d’autres termes, il est ainsi possible d’identifier son goulet et d’en améliorer son Taux de Rendement Synthétique, pour augmenter les performances de l’usine avec une gestion au plus juste, pour réduire les variabilités des process afin de gagner en qualité et également pour limiter les contraintes que peuvent subir les processus de fabrication ou de pilotage.
Comment parvenir à cela ? En remettant au cœur des systèmes l’humain et en lui apportant les méthodes et les outils adaptés aux attentes de leurs entreprises.
Des hommes, des machines, des outils !
Les collaborateurs d’une entreprise sont l’un des piliers permettant de créer une synergie dès lors que leurs postes de travail (machines, environnement) sont performants, qu’ils reçoivent les méthodes (découlant du Lean, du Six Sigma et de la Théorie des Contraintes) leur permettant d’améliorer leurs compétences ainsi que des outils innovants (ERP, MOM, MES, intelligence prédictive …) leur offrant de nouvelles opportunités de gestion, de contrôle en temps réel et de développement de l’agilité.
Les machines sont nécessaires à tout processus. Elles ont permis de grandes avancées technologiques et également l’accroissement du confort et de la satisfaction au travail des collaborateurs. Le temps où l’humain et la machine « s’affrontaient » est révolu et les outils technologiques développés aujourd’hui permettent une réconciliation avec le développement, par exemple, des interactions homme/machine (IHM). L’harmonisation et la mise en avant des valeurs du travail ouvrent la voie des usines du futur où la transformation digitale devient un outil de valorisation et de performance tant pour l’entreprise que pour le collaborateur.
ICONICS, éditeur de logiciels, développe des solutions s’adaptant au fonctionnement des entreprises afin d’améliorer ses performances grâce à des outils permettant :
- D’échanger des informations en temps réel avec pour objectifs l’amélioration de la vitesse des flux et la maximisation de la productivité du goulet,
- De répondre aux problématiques de variabilité en facilitant et limitant les interventions ce qui permet de rationaliser les coûts d’exploitation et d’optimiser les consommations énergétiques,
- De diminuer les contraintes en optimisant les ressources en temps réel et gagnant en agilité…
José Gramdi, Expert « métier » et ICONICS, Expert « produits », collaborent depuis de nombreuses années afin d’apporter à leurs clients communs les solutions les plus adaptées à leurs besoins, lesquels obtiennent des résultats particulièrement surprenants et pleinement satisfaisants.
Les équipes techniques d’ICONICS proposent et mettent en place, selon le cahier des charges du client, les outils nécessaires à l’amélioration des processus défaillants. Elles forment également les collaborateurs à l’utilisation de ces outils et leur apportent un soutien au long court terme afin d’optimiser de façon maximale les solutions mises en place.
* « La boucle vertueuse de l’excellence » – José Gramdi – Lexitis éditions – 2013
Retranscription complète de l’interview
Bonjour, nous accueillons aujourd’hui José Gramdi qui est expert dans le domaine des systèmes d’information industriels et d’amélioration continue. Monsieur Gramdi, vous avez publié en 2013 un livre : « La boucle vertueuse de l’excellence » traitant du Lean management, du Six sigma et de la Théorie des contraintes. Vous décrivez dans ce livre comment le concept que vous avez développé : la PIG « performance interactionnelle globale » permet « de faire mieux avec autant » et non plus « de faire autant avec moins ».
Ma première question est : quel est votre parcours ? Pouvez-vous vous présenter s’il vous plaît ?
Je suis issu d’une formation initiale d’ingénieur en robotique et informatique industrielle. Cette formation m’a permis de créer très rapidement un cabinet de consulting dans le domaine des systèmes de supervision d’atelier SCADA. Évoluant ensuite vers des thématiques telles que les MES, je me suis très vite intéressé à la gestion de production, à la gestion globale et à la performance de l’entreprise. C’est ce parcours en tant que consultant sur le terrain ainsi que ma fonction d’enseignant-chercheur au sein de l’Université de technologie de Troyes depuis 2002, qui m’a permis de capitaliser sur les pratiques industrielles et de produire cet ouvrage avec une vision globale de la performance de l’entreprise et des projets d’amélioration qui peuvent être envisagés.
Merci Monsieur Gramdi. Pour bien comprendre les termes que nous allons utiliser dans cette interview, pouvez-vous nous expliquer ce que sont le Lean management, le Six sigma et la Théorie des contraintes ?
Le Lean Management est une approche qui nous vient du Japon, de chez Toyota. Womack et Jones, deux chercheurs américains, ont par la suite posé les bases de ce que l’on appelle aujourd’hui le Lean Management. Le Lean remet en question les principes communément employés dans les entreprises et nous amène à nous questionner sur la façon dont on va exploiter nos ressources.
Evolution d’un ancien temps où la réponse à ces principes était d’avoir des machines qui fonctionnent tout le temps avec des performances sur toutes les machines, le Lean nous invite aujourd’hui à être capables de synchroniser notre outil de production au marché.
Le but du Lean est donc de fabriquer ce qui est attendu, sans se focaliser sur les performances des machines. Il s’agit d’une production au plus juste. Pour cela, il importe d’obtenir des temps de traversée de nos flux physiques ultra rapides. Cela veut dire par exemple :
- travailler avec moins de stock matière, c’est-à-dire commander la matière quand on en a besoin,
- lancer des ordres de fabrication qui vont correspondre à la vraie demande du marché et de pouvoir mettre à disposition des produits très rapidement en se focalisant sur le délai de livraison et puis donc d’expédier très rapidement pour livrer dans le délai.
Le second pendant du Lean est le changement des comportements de l’opérateur vis-à-vis de sa machine, du manager vis-à-vis de l’opérateur et des actionnaires vis-à-vis des indicateurs de performance.
Le réel focus du Lean est donc la performance en termes de respect des délais, de stocks faibles, en s’attardant un peu moins sur les efficiences individuelles de nos ressources.
Le Six sigma est une autre approche. Il s’agit également d’une approche d’amélioration continue mais qui va plutôt se focaliser sur la chasse à la variabilité. Dans un processus, il y a beaucoup de facteurs qui interviennent dans la qualité du processus : des facteurs que l’on peut maîtriser, d’autres que l’on subit.
Avec l’approche Six sigma, nous pouvons identifier les facteurs influents d’un processus pour le rendre stable. Cela limite la production de produits non conformes et la résurgence de pannes inexpliquées. Pour schématiser, si l’on traite de vitesse avec le Lean, le Six sigma traite les problèmes de variabilité.
Enfin, la Théorie des contraintes est une troisième approche d’amélioration continue qui part d’un constat assez simple : le débit de notre outil de production va être limité par une ressource. Cette ressource que nous appelons le goulet va être à la fois notre levier d’amélioration et de pilotage.
Le goulet identifié permet de prendre les décisions adaptées pour le rendre opérationnel et exploité en permanence. De l’augmentation du débit du goulet découle le débit du processus. Le meilleur débit d’un goulet limite les arrêts du processus qui peuvent être ressentis dans toute l’entreprise.
Ces trois approches sont parfaitement complémentaires et c’est pour cela que je propose dans mon ouvrage “La boucle vertueuse de l’excellence” un modèle qui va les mettre en synergie de la façon la plus harmonieuse possible.
Super, merci c’est très clair. Effectivement cela paraît très simple et compréhensible. Néanmoins, à mettre en place, comme je le disais tout à l’heure, il faut faire appel à des experts.
La simplicité est la sophistication suprême, disait Léonard de Vinci. C’est vraiment ce qui a conduit mes recherches : arriver à re-simplifier les process car tout a été complexifié et on a perdu de vue la finalité. L’important est de se focaliser sur la finalité. La finalité est ce que Goldratt, le père de la théorie des contraintes, appelle le but. Quel est le but de mon système ? Dès que l’on se focalise sur ce but, le but ultime de notre système, tout devient simple. C’est ce que l’on appelle l’inhérente simplicité.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler avec ces 3 concepts ?
Je suis initialement issu de l’école « Théorie des contraintes ». Rapidement, j’ai été gêné par le fait de voir comme des concurrentes ces trois écoles que sont le Lean, la Théorie des contraintes et le Six sigma.
J’étais mal à l’aise à l’idée de choisir si, sur un projet, on doit faire du Lean, de la TOC (Théorie des contraintes) ou du Six sigma et j’ai toujours pensé à l’extraordinaire complémentarité de ces trois approches. Il y a une phrase qui dit : « lorsque l’on n’a qu’un marteau, tous les problèmes ont la forme d’un clou ».
Par exemple, si je viens avec ma boîte à outils Lean, je ne vais traiter que des problèmes de vitesse et ce n’est pas forcément le vrai problème à l’instant donné de mon entreprise. J’ai donc voulu réunir ces 3 approches et c’est ce qui a guidé mes travaux.
Il existe d’ailleurs une école qui s’appelle TLS “TOC Lean Six sigma” et qui propose de prendre le meilleur de ces approches en utilisant la bonne méthode, le bon outil au bon moment en fonction du problème et de la finalité.
De trop nombreuses actions d’amélioration sont encore engagées sans avoir une réelle réflexion sur le « pourquoi ». On se questionne le plus souvent sur le comment : comment fait-on les choses… Avant de s’intéresser au comment, il semble impératif de se questionner sur le pourquoi ?
Pourquoi mettre en place telle action ? Dans quel but ? C’est vraiment l’idée majeure qui guide toutes mes réflexions.
Depuis combien de temps développez-vous cette méthode vertueuse d’amélioration des performances ?
La première fois que j’ai parlé de mes travaux lors d’une conférence publique, c’était en 2007, il y 14 ans. Il s’agit d’une longue démarche et, avant de publier ces travaux, j’avais déjà réfléchi au problème depuis plusieurs années. Mon ouvrage a ensuite été publié en 2013.
Des partenaires vous ont-ils permis d’évoluer, d’avancer ?
Oui, j’ai fait beaucoup de rencontres. Des amis consultants, des industriels m’ont fait confiance. Ensemble nous avons testé cette approche globale et les résultats ont été assez spectaculaires. Il y a également mes élèves, mes premiers cobayes si je puis dire, à qui j’enseigne cette méthode. Et enfin les nombreuses interactions que je peux avoir avec les auditeurs de mes conférences et mes lecteurs.
Quand on lit est votre livre, on note qu’il y a beaucoup de valeurs fortes, comme la richesse de l’humain et la force de la recherche de l’amélioration continue pour obtenir l’excellence opérationnelle dans l’entreprise. Ma question est : quelles valeurs défendez-vous ? Et pouvez-vous nous dire en quoi elles sont fondamentales ?
C’est une question assez vaste. Au-delà de mon approche, l’humain est forcément mis au cœur du système quand on parle de Lean, de Théorie des Contraintes, de Six Sigma. On ne peut pas envisager d’entraîner une équipe, une entreprise, un atelier dans un mouvement d’amélioration, de transformations sans que les acteurs directement concernés soient partie prenante.
Mettre l’homme au cœur du système est l’une des bases majeures du process d’amélioration continue. Les managers, dirigeants, les actionnaires doivent faire confiance à l’intelligence de leurs équipes, à leur capacité de résoudre les problèmes. Ce principe vient en opposition avec l’approche plutôt taylorienne qui considère que les opérateurs ne sont qu’une force de travail et que tout ce qui va être réflexion autour de la façon de travailler, des idées, des projets d’amélioration doit être le domaine des ingénieurs méthode ou des ingénieurs amélioration continue.
On retrouve encore beaucoup ce type de démarches d’amélioration continue où une approche top/down est abordée. Un ingénieur amélioration continue est embauché et il doit être le seul moteur de la transformation, en posant seul les nouvelles façons de travailler en lieu et place d’une réflexion collective des collaborateurs. Les résultats parlent d’eux-mêmes : cela ne marche pas.
Nous avons d’ailleurs vu au cours de ces 20 ans dernières années beaucoup de détournements de la démarche Lean avec pour résultat de n’en conserver que le nom. Les tentatives d’amélioration se sont déroulées souvent selon cette approche top/down sans demander ni mettre à contribution les opérateurs avec parfois des conséquences assez tragiques.
Nous avons pu, par exemple, constater l’envolée de TMS “ troubles musculo squelettiques” sur les postes de travail et de façon plus tragique, des suicides sur le lieu de travail qui ont pu être reliés à des démarches Lean un peu « sauvages ». De grosses bêtises ont été faites et c’est pour cela que l’homme doit être vraiment au cœur du système. Le projet d’amélioration doit être un projet d’entreprise compris et partagé par tous et non pas un projet de manager.
La vision générale de ce type de projet, comme on disait en introduction, n’est pas de réduire sans cesse la voilure mais plutôt de se demander comment être meilleur, comment satisfaire davantage nos clients, comment conquérir des marchés et comment pérenniser notre entreprise et nos emplois. Nous ne pouvons pas demander à un collaborateur de s’améliorer avec pour remerciement, c’est le cas de le dire, une lettre de licenciement parce qu’il s’est bien amélioré et que l’entreprise n’a plus besoin de lui.
Les entreprises aujourd’hui qui utilisent ce type de méthodes sont des entreprises industrielles de production. Quels autres types d’entreprises peuvent-être intéressés par cette méthode ?
Effectivement, ces 3 approches : le TOC, Lean et Six Sigma, sont nées dans l’atelier mais elles sont parfaitement transposables à des process non physiques. Il y a énormément d’entreprises du secteur tertiaire qui les utilisent. Notamment, la banque, l’assurance, le service. On les a transposées à tous types d’activités. Mais c’est vrai que la base, c’est l’industrie.
Est-ce que vous pensez justement, si on revient à l’industrie, que les entreprises françaises sont prêtes pour passer à l’industrie 4.0 ?
C’est une autre question assez vaste. Ce à quoi nous assistons actuellement me laisse un peu perplexe. Avec tout ce battage médiatique autour de l’usine du futur, de l’Industrie 4.0, j’ai l’impression que l’on voit actuellement l’arrivée de ces nouvelles technologies, qui sont d’une puissance incroyable, seulement comme un nouveau moyen de faire la même chose de façon plus rapide, plus efficiente, plus performante. On ne voit pas forcément que ces nouvelles technologies remettent complètement en question nos usages en place.
En fait, tous nos modèles ont été élaborés dans nos entreprises, nos industries lorsque la technologie de l’information s’appelait le papier. On a dû inventer les règles auxquelles on avait accès avec le papier.
Avec la technologie papier, on n’avait pas la possibilité de se connecter aux acteurs d’une supply chaîne en temps réel, aux clients en temps réel, aux fournisseurs en temps réel, on n’avait donc pas d’autre choix que de tout isoler et de chercher partout des optimums. C’est ainsi que sont nées nos règles de gestion qui consistent à mettre des indicateurs d’efficience individuelle sur toutes nos ressources, que ce soit les hommes ou les machines.
Les technologies de l’information dont nous disposons aujourd’hui suppriment cette limite du papier puisque nous pouvons connecter maintenant en temps-réel tous les éléments de la chaîne de valeur : clients, fournisseurs, ateliers, décideurs pour une synchronisation optimale sur un objectif global. Nous pouvons vraiment repenser nos modèles de pilotage, de business, de performances avec les nouvelles technologies.
Malheureusement, ce n’est pas l’orientation à laquelle nous assistons. Beaucoup d’entreprises restent bloquées dans une logique de productivité sans remettre en question les usages qui avaient été élaborés avec le papier. Elles ont en fait tendance à informatiser ces usages, les robotiser ou les automatiser sans forcément prendre conscience des formidables opportunités qui sont offertes pour se différencier de ses concurrents et de développer des avantages compétitifs.
Dans ce cas-là, j’aurais tendance à vous poser la question : est-ce que vous avez observé un phénomène qui empêche cette évolution dans les entreprises que vous rencontrez ? Est-ce qu’il revient un “goulet”, dirais-je pour vous paraphraser ?
Oui, on peut voir ce problème comme un goulet. Il s’agit d’un goulet psychologique. Il y a des choses que l’on ne challenge plus et que l’on considère comme des évidences. Les entreprises ont énormément de mal à remettre en question des modes de fonctionnement connus qu’elles maîtrisent. Et puis surtout, toutes nos organisations ont été bâties comme ça. Les ERP mis en place ont gravé dans le marbre toutes les règles de gestion. Il y a là un vrai blocage pour changer ces usages.
Aujourd’hui dans mon imaginaire, ce sont plutôt les grandes entreprises industrielles de production qui mettent en place votre méthode. Est-ce que la taille, que ce soit en nombre de salariés ou en chiffre d’affaires, est importante ou est-ce que votre méthode peut être appliquée à toutes les entreprises, que ce soit une PME ou une très grosse entreprise ?
Nous avons eu des réalisations à la fois dans des PME et dans de grands groupes industriels. Il n’y a donc pas de problème de taille. Nous avons appliqué la méthode d’amélioration continue aussi bien dans le secteur industriel que dans des secteurs tertiaires. Il n’y a donc pas non plus de problème de secteur.
Si l’on évoque une difficulté concernant la taille de l’entreprise, nous pouvons envisager que les grandes entreprises présentent un désavantage par rapport à des structures plus petites. En effet, plus les entreprises sont grandes, plus elles ont besoin de réduire l’ensemble à la somme de ses parties. Nous nous retrouvons ainsi avec des approches que l’on appelle “en silos”. Plus l’entreprise est grande, plus ces silos fonctionnels sont hermétiques et plus il est difficile de mettre de la transversalité dans les usages.
La transition que je propose est de passer de l’entreprise verticale (où l’on a mis en place des silos : la vente, la production, la qualité, …) à l’entreprise horizontale. Ainsi, nous pouvons nous focaliser sur les flux, sur la vitesse des flux, sur la variabilité des flux et sur le débit des flux. Et cette transition est d’autant plus difficile que la taille de l’entreprise est importante.
Comment en êtes-vous venu à collaborer avec ICONICS ?
Ma collaboration avec ICONICS est très ancienne. Elle est née de mon expertise dans le domaine du SCADA et du MES qui m’a amené à collaborer avec Iconics en tant que formateur sur leur solution logicielle que je connaissais très bien.
Et puis, petit à petit, nous avons été amenés à répondre à des cahiers des charges ensemble. L’intérêt qu’ICONICS a trouvé dans cette collaboration, c’est ma vision globale. Je maîtrise bien tout ce qui est technologique, technique, les logiciels MES, SCADA et j’apporte cette vision plus globale “projet d’entreprise et performance de l’entreprise”. C’est ce qui est important, je pense, pour ICONICS. Et, c’est ce qui permet à notre démarche de se différencier d’un simple fournisseur de logiciels.
Vous, Monsieur Gramdi, vous êtes un expert métier, ICONICS est un expert produit. Quels sont les avantages de votre collaboration pour vos clients communs ?
Le gros avantage, par exemple, concernant le gros projet sur lequel nous travaillons ensemble actuellement, est que je parle le langage des clients. C’est-à-dire, je peux aussi bien parler avec un responsable de production qu’avec un responsable de qualité, qu’un responsable maintenance. Je connais parfaitement tous ces métiers. Je connais leurs exigences, leurs contraintes et je peux ainsi faire l’interface entre les besoins métier et la solution technique. C’est un atout considérable.
Monsieur Gramdi, vous avez inventé le concept et l’indicateur de la PIG “Performance interactionnelle globale”. Quels outils ICONICS vous apporte-t-elle pour aider les entreprises à mettre en place votre méthode ?
En fait, l’indicateur PIG “Performance interactionnelle globale” est un indicateur qui va agréger une quantité phénoménale de données. Si je vous décris rapidement cet indicateur, nous avons une dimension économique : on va regarder la valeur ajoutée générée par notre système que l’on va ramener aux charges d’exploitation (qui ont été mises en œuvre pour générer cette valeur ajoutée). Il s’agit du point purement économique de mon indicateur.
Il y a trois autres dimensions : une dimension vitesse des flux, une dimension satisfaction des clients et une dimension responsabilité sociétale et environnementale. Les connexions que l’on va pouvoir opérer grâce aux solutions sur le terrain d’ICONICS vont nous permettre de fabriquer l’indice de vitesse de notre indicateur. Nous allons ainsi vraiment être connectés en temps réel aux machines. Nous allons remonter toutes les informations qui vont nous permettre de mesurer ce que l’on appelle le Lead Time.
Le Lead Time est le temps qui s’est écoulé entre l’arrivée de la matière et la livraison du produit. Pour fabriquer ce Lead Time, nous avons besoin de données, de généalogie. La suite d’ICONICS permet de collecter et d’enregistrer les données de généalogie des produits, ce qui est notamment l’une de ses fonctions fortes.
Nous allons pouvoir également collecter un grand nombre de données sur la qualité des produits et la variabilité des procédés ce qui va nous aider à identifier les vraies pistes d’amélioration de la satisfaction des clients.
Est-ce que ces outils, Monsieur Gramdi, vous ont permis de faire évoluer votre méthode ?
Je ne dirais pas qu’ils m’ont permis de faire évoluer la méthode puisque, en fait, lorsque j’ai réfléchi et que j’ai proposé ces indicateurs et cette méthode, j’avais déjà conscience de toutes ces possibilités technologiques. J’avais en effet déjà passé 12 ans à collecter des données en temps réel dans les ateliers. Je savais donc que c’était possible.
A la base j’avais intégré seul cette faculté. On pouvait se connecter en temps réel à des données de terrain et on pouvait les agréger. Je dirais que c’est plus à la généalogie de mon approche que dans son évolution que les outils Iconics m’ont été utiles.
Pour en revenir à ce que nous disions tout à l’heure, le fait qu’ICONICS créé des produits simples, faciles à mettre en œuvre, ne vous permet peut-être pas de faire évoluer votre méthode mais, par contre, d’accompagner vos projets auprès de vos clients ?
Oui, ce qui caractérise la suite ICONICS, c’est que ce n’est pas un produit sur étagère où tout a été déjà configuré, pensé et auquel l’utilisateur va devoir s’adapter. En fait, la suite ICONICS est un ensemble de modules qui a été réfléchi avec le but de pouvoir s’assembler et de fabriquer une application sur mesure à une problématique.
Donc, effectivement, lorsque l’entreprise a une problématique bien définie, elle va pouvoir utiliser le bon module, au bon endroit, pour capturer les données dont elle a besoin en temps réel et les mettre en forme selon la finalité. Cela n’est pas forcément le cas avec un produit sur étagère.
Selon vous, quelles sont les évolutions envisageables dans cette collaboration avec ICONICS ?
Dans mon approche il y a deux phases : la phase modélisation du système pour passer d’une approche verticale à une approche transversale. Ensuite, il y a la phase où l’on va mettre en œuvre les outils de collecte, de mise en forme de données pour justement fabriquer des indicateurs et suivre leur évolution dans le temps. Jusqu’à maintenant, nous avons surtout travaillé sur la première partie, c’est-à-dire la modélisation, la remise à plat des flux de façon à proposer une nouvelle vision et un nouvel outil d’aide à la décision.
La partie pilotage est plus souvent réalisée de façon artisanale. Elle n’est pas encore forcément industrialisée mais c’est sur ce sujet que nous réfléchissons actuellement avec François Baudet afin de proposer une solution qui permettrait de passer de cette approche verticale à une approche horizontale.
Est-ce que vous auriez envie de dire quelque chose aux dirigeants d’entreprises qui hésiteraient encore. Quelque chose qui leur permettrait d’ouvrir enfin la boucle vertueuse de l’excellence ?
Ce que je leur dirai, c’est que l’on est en train de vivre une mutation sans précédent ; que ce soit d’un point de vue économique, technologique ou environnemental. Jusqu’à maintenant, nous avons vécu très confortablement sans trop nous poser de questions. Nous avons mis en place dans nos organisations des règles, des indicateurs, des outils qui correspondaient à l’ancien contexte.
Avant, d’un point de vue économique, nous étions plutôt sur des marchés où l’offre était inférieure à la demande. Aujourd’hui, l’offre est plutôt largement supérieure à la demande. La technologie était le papier, nous en avons parlé, là il s’agit d’une autre problématique. Au-delà des enjeux économiques, technologiques et sociétaux, il convient d’intégrer l’enjeu environnemental avec le réchauffement climatique. Au vu de ces enjeux, on peut dire que tous ces modèles, tous ces usages, tous ces indicateurs ont fait leur temps. Aujourd’hui, il faut vraiment être capable d’en prendre conscience pour faire le deuil de ces règles du passé.
Et nous sommes ici véritablement dans le domaine de la croyance puisque les entreprises ont toujours agi ainsi et que tout se passait bien. Elles ont donc énormément de mal à abandonner ces pratiques qu’elles connaissent et maîtrisent parfaitement et qui ont produit les résultats attendus pendant de longues années.
Le message que j’aimerais leur adresser serait donc d’ouvrir les yeux, de regarder le monde tel qu’il est pour pouvoir inventer les règles de gestion, de pilotage et de management de demain.
Et surtout n’oublions pas que la richesse de nos entreprises ce sont ses salariés, pas ses robots. Tous vos concurrents pourront acheter exactement le même robot, acheter exactement le même ERP, les mêmes objets connectés. Le seul élément différenciant de votre organisation : ce sont ses collaborateurs. C’est cela le message important.
Merci beaucoup Monsieur Gramdi de nous avoir répondu, d’avoir pris un peu de temps. Votre livre « La boucle vertueuse de l’excellence » m’a appris beaucoup de choses, entre autres, qu’il faut un vrai expert pour mettre en place ces processus-là.
Il faut en effet avoir une expertise et une vision globale. Nous avons un peu parlé de l’héritage du passé, il existe également un autre héritage et il est encore beaucoup plus profond. Il s’agit de l’héritage de la pensée cartésienne. C’est Descartes qui nous a enseigné que pour pouvoir aborder un problème, il fallait le découper en autant de sous problèmes qu’il est possible et donc de résoudre individuellement chacun de ses sous problèmes.
Au niveau de l’entreprise, on s’aperçoit que ça ne marche plus puisqu’aujourd’hui les entreprises doivent être agiles et l’agilité est forcément quelque chose de collectif. On ne peut pas être agile individuellement. Et puis à un niveau plus global, lorsque chacun sur la planète essaye de maximiser son entité indépendamment, on voit bien que cela conduit à une solution planétaire non optimale.
C’est donc également ce mode de pensée cartésien, qui réduit le tout à la somme de ses parties qu’il convient challenger aujourd’hui. Et je conclurais en évoquant le mode de réflexion qui est véritablement à la base de mes travaux mais également du Lean, de la Théorie des Contraintes et du Six sigma : la pensée systémique. Je suis adepte et ambassadeur de cette école de pensée et je pense que c’est elle qui nous permettra d’aborder l’entreprise, sa finalité et sa performance globale différemment pour ainsi peut-être entrevoir un avenir plus radieux et enthousiasmant pour nos futures générations.